Publié le 20/12/2024
Abdou Karim Sall, pêcheur sénégalais et défenseur des droits des pêcheurs s'est rendu en France pour parler de sa lutte contre la pêche illégale. Protagoniste du film Razzia sur l'Atlantique à l'affiche du Festival AlimenTerre 2024, il a été invité par le CFSI (Comité Français pour la Solidarité Internationale), organisateur de l'événement. Réseau Bretagne Solidaire a organisé sa tournée bretonne avec les coordinations départementales du Festival AlimenTerre : le Cicodes, le Resia et Xylm.
Abdou Karim Sall est ainsi intervenu après les projections du film sur différentes dates au sein d'établissements scolaires bretons à Morlaix, St Aubin du Cormier et Le Rheu et lors d'évènements grand public, à Morlaix et Fouesnant.
A la fin de sa tournée bretonne, le 19 novembre 2024, le Réseau Bretagne Solidaire s'est entretenu avec lui.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots.
Je m'appelle Abdou Karim Sall, je suis le président des pêcheurs du Sénégal, et en même temps je suis le président des aires marines protégées du Sénégal et de l'Afrique de l'Ouest.
Quel est votre parcours, et comment en êtes-vous arrivé là aujourd'hui ?
Je suis né pêcheur, j'ai fait des études pendant 4 ans. J'ai quitté l'école en 1972. Depuis que j'ai quitté l'école, je suis dans la pêche, et je travaille avec mes parents dans les pirogues. Je peux dire que je travaille dans ce secteur depuis une quarantaine d’années.
Est-ce une bonne ou mauvaise nouvelle pour le Sénégal cet accord de pêche non renouvelé en date du 17 novembre 2024 entre l'Europe et le Sénégal ?
C'est une très très bonne nouvelle, parce que ça fait partie de nos combats depuis une quarantaine d’années. Les ressources sénégalaises sont pillées, les habitats détruits. Les bateaux de l’Union Européenne et les bateaux asiatiques étaient en train de transformer les eaux sénégalaises en déserts liquides. Ces bateaux sont là depuis une cinquantaine d’années en train de piller les ressources africaines. C'est un combat de 40 ans qui vient d'être gagné. C'était notre combat le plus absolu, pour que les poissons africains restent aux Africains. Surtout que ce poisson servait aux usines de farine de poisson pour nourrir des animaux, alors que nous, on en a besoin pour notre alimentation : on est dépendant de ce poisson.
Est-ce que le changement récent de président au Sénégal va impacter le milieu de la pêche ?
Oui, effectivement le changement de régime va impacter le milieu de la pêche et on espère bien que ça va changer. On commence déjà à voir les résultats. Le nouveau gouvernement est constitué de jeunes de moins de 45 ans. Ils sont conscients, et avec nous dans le même combat. On les a rencontrés avant qu'ils soient présidents et qu'ils gagnent les élections. Ils avaient accepté les chartes qu'on avait mises en place avec 13 points. Arrêter les accords de pêche, oublier les bateaux, booster le secteur de la pêche artisanale, appuyer les aires marines protégées, faire partir les bateaux russes et les bateaux chinois des eaux sénégalaises en faisait partie. Dès qu'ils sont arrivés, au moins un des points a déjà été exécutés : il n’y a plus de bateaux européens dans les eaux sénégalaises. Maintenant, c'est un autre combat : les bateaux chinois. Ce sont des bateaux prêtent nom : ils appartiennent aux chinois mais portent des noms sénégalais. C'est un combat vraiment très difficile pour la conservation de nos ressources.
Dans les médias français, ils ont présenté la fin de ces accords de pêche comme étant une décision de l'Union Européenne d'y mettre fin du fait d'une incapacité des Sénégalais à contrôler la pêche illégale dans les eaux sénégalaises, qu'est-ce que vous en dites ?
C'est un problème très complexe. Ce qui nous intéresse c'est que ces accords ne soient pas signés. Maintenant, l'Union européenne a fait sa première conférence de presse avant le Sénégal pour dire “on ne peut pas signer des accords, avec le Sénégal dans la zone où la mer n'est pas surveillée, il y a d'autres bateaux qui viennent pêcher et qui n'ont pas d'accord”. Le lendemain, le Sénégal a fait un démenti formel, pour dire que c’était eux qui ne voulaient pas signer. Ils ont dit que ce que disait l’Union européenne était faux, que c'était le Sénégal qui avait mis un terme à ces accords, parce que ça n'arrangeait pas les pêcheurs sénégalais et africains. Maintenant qui a raison…Ce qui est important c'est que les pêcheurs vont applaudir la fin des accords de pêche entre l'UE et le Sénégal ; peu importe qui a décidé. Et que ce poisson reste africain pour une plus grande sécurité alimentaire.
Quelles mesures avez-vous mises en œuvre afin de défendre les intérêts des pêcheurs tout en promouvant la préservation de la biodiversité marine ?
Il y a des gens qui viennent piller nos ressources devant nos yeux, qui n'ont pas le droit de le faire, qui raclent les fonds marins, et si on dit comment on se bat, on devient des pirates. C'est eux qui ont commencé car ils n'ont pas le droit de venir et de faire cette pratique de pêche illégale. D'abord, cette pêche est interdite en Asie. Comment une pêche peut-elle être interdite en Asie et être pratiquée dans les eaux sénégalaises ? Les bateaux qu'ils utilisent sont interdits en Asie. Et c'est ces mêmes asiatiques et leurs gouvernements qui leur donnent des moyens pour qu'ils aillent chercher de quoi manger pour assurer leur sécurité alimentaire hors de chez eux. Ce qui nous intéresse, c'est l'avenir de nos enfants, de nos petits petits enfants qui seront là dans 100 ans, 200 ans, nous on ne sera pas là. On est responsable de ce qui va se passer. On est en train d’hypothéquer leur avenir, et on n’a pas ce droit. On a le droit de réagir, et réagir en montrant que oui, on a le pouvoir. Si tu as la force de m'attaquer par rapport à ma dignité et ce que je dois manger, moi aussi je dois avoir la force de riposter. Ce qu'on est en train de faire, moi je l'ai fait une dizaine de fois comme je l'ai dit. Je suis monté dans des bateaux, où j'ai fait descendre des capitaines chinois, j'ai été mis en prison à plusieurs reprises, ce qui est important c'est que c'est un combat qui a été gagné, parce que maintenant on ne signe plus d'accords.
Qu'est-ce que cette tournée en France vous apporte et inversement qu'est-ce qu'elle peut apporter aux personnes qui vous rencontrent ?
En tant que leader de la pêche, ça m'apporte beaucoup, c'est un combat mondial. Il ne faut pas que je reste dans mon petit coin en pensant que c'est un combat uniquement sénégalais. Parce que ce poisson est consommé partout dans le monde. Les consommateurs et les bateaux de l’Union Européenne viennent d'ici, donc aller rencontrer surtout la jeunesse, qui sont l'avenir et qui vont réfléchir sur ça. En général, tu ne sais pas que le poulet et le saumon que tu es en train de manger ont été nourris par du poisson qui a été volé. On est en train de réveiller la conscience pour montrer que quelque chose à l'autre bout du monde est en train de se passer. Ça me fait du bien de mener un combat où les enfants, les petits enfants sont en train de comprendre que quelque chose se passe à l'autre bout du monde, et qu’ils peuvent intervenir. Ils peuvent réagir en n'achetant pas le poulet et le saumon nourris à la farine de poisson, ainsi que sensibiliser leurs parents.
Quels sont les retours que vous avez eu sur le film et sur les interventions ?
J'ai eu beaucoup de retours. Les pêcheurs sont très contents de ce film. A l'international, ce film est très apprécié, ce qui devait être le contraire car on parle de l'Union Européenne. Même en Europe ils sont contre cette pratique, cela prouve que c'est un film qui touche beaucoup de gens et qu'ils sont conscients de cette situation en Afrique et au Sénégal. Ça fait plaisir : au lieu d'avoir une confrontation entre l'Afrique et l’Europe, on voit même plus de soutien en Europe qu'en Afrique. Ce film peut régler des choses à l'avenir. Je sais que ce film a beaucoup joué sur les accords de pêche non renouvelés. Il y a 11 usines de farine de poissons au Sénégal, 4 sont fonctionnelles car on s'est battu pour. Parce que j'ai fait d’autres films, sur les poissons volés qui parle des usines de farine de poisson, et je sais que cette communication a fait reculer nos décideurs par rapport à ce qui se passe au Sénégal.
Si vous aviez un message à transmettre, quel serait-il ?
Oui, j'ai un message à transmettre. Un message de remerciement, pour ceux qui m'ont invité ici, parce qu'ils sont conscients et qu’ils ont aimé le film. Ils peuvent faire aussi quelque chose par rapport à ça. C'est un message de remerciement aussi parce que ce n'était pas évident de faire venir un Africain et Sénégalais en Europe, pour parler des problèmes causés une partie par l’Europe et l’Asie. Mon message c'est que le monde appartient à tous, ça n'appartient pas à un groupe de personnes qui dicte les lois. Il faut être plus conscient que le monde appartient à tout le monde et que, ensemble, on peut faire un monde calme, sain et que tout le monde puisse vivre d'une façon aisée.
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